Fête du Dragon n°2, Un peu partout...

Plus elle écoutait Kal'Alzaroth parler et plus elle doutait de son appartenance au genre humain. Il fallait être quelqu'un d'extrèmement supérieur ou d'extrèmement malade pour avoir ce type de projets. Comme il ne parlait pas comme un fanatique mystique prèt à vouer aux enfers quiconque échappait à sa religion, il devait être supérieur...

*En même temps, qui les humains n'ont-ils pas déçus ?*

Ce dont parlait Kal'Alzaroth maintenant ressemblait à de la manipulation mais ce n'était pas Melarorah qui allait s'en méler ou tenter de l'en empécher. Si les humains pouvaient être un tout petit peu plus tolérant après...

"Mais..."

Melarorah regarda le sol, sourcils un peu froncés, comme si elle se retenait de dire quelque chose qui risquerait de blesser son interlocuteur. L'oeuvre que lui décrivait Kal'Alzaroth était louable, mais ne risquait-elle pas de phagocyter un peu sa vie ? Ce genre de projet nécessitait une attention de tous les instants, un effort continu, un travail de fourmi, et le chevalier noir lui semblait un peu jeune pour s'enterrer si vite. Est-ce qu'il ne risquait pas de passer à cotés de choses essentielles pour les humains, comme s'amuser, se trouver une compagne, fonder une famille, ce genre de choses ?
Ce n'était pas qu'elle s'inquiétait pour Kal'Alzaroth (sa vie ne la regardait pas) mais les humains avaient un peu tendance à peu travailler et à peu s'amuser, à mener des vies complètement ternes.
La jeune femme préféra changer de sujet.

"Astorth est le seul dragon de l'île, je suppose ?"

[Youpi je vais subir un interrogatoire T__T]

Melarorah se permit un demi-sourire.

"Endiguer ses pulsions ?"

La jeune fille jeta un bref regard explicite et légèrement ironique vers la maison. Alcool, nourriture, viande et sang, sans parler de la présence de personnes dont la vertu était sujette à caution, comme Kiiro, faisaient de la fête de Kal'Alzaroth un exemple tout à fait parlant d'endiguement de ses pulsions, en effet. Enfin, Melarorah n'était pas là pour juger.

Non, cela ne la dérangeait pas... du moins c'est ce dont Melarorah essayait de se convaincre depuis des années.

"Mon... histoire a été banale, vous savez. Vous en seriez même déçu." murmura-t-elle avec précaution, le regard lointain, visiblement plongée dans ses souvenirs.

"J'ai eu des parents aimants, un grand frère adorable et protecteur, une vie simple."

*Puis mon père est parti, est revenu, je suis devenu un monstre hybride, mon géniteur a vendu ma famille, qui a été massacrée, et depuis j'erre, proscrite, de ville en ville, louant mon épée au plus offrant, dégoutée des mâles après quelques tentatives aussi brutales que stupides de leur part.*

"Puis je suis devenue telle que vous me voyez à présent et j'ai préféré quitter ma terre natale. Voilà, c'est tout."

Est-ce que résumer ainsi son histoire était un mensonge ? Au fond il n'y avait rien de faux dans ce qu'elle avait dit... elle avait juste omis de préciser les détails et circonstances. Mais elle n'avait pas menti.

Melarorah le regarda avec une surprise non dissimulée. Depuis longtemps elle savait quel était son but, si elle en avait un : trouver un endroit où elle se sente à sa place. Si elle en avait trouvé un ersatz correct à la villa de Kiiro, s'en voir proposer un autre la touchait plus qu'elle n'aurait cru.

"Votre générosité vous honore et je crois qu'en tant qu'ami de Kiiro et alter ego d'Astorth vous êtes en passe de gagner ma confiance."

La jeune fille sourit.

"Nous devrions sans doute rentrer, je m'en voudrais de priver les autres invités de votre présence."

"Moi aussi, si cela ne le dérange pas trop, bien sûr."

Melarorah passa son bras autour de celui de Kal'Alzaroth, se sentant stupide et maladroite, sensations extrèmement nouvelles et déplaisantes. Si elle savait à peu près ce qu'étaient la galanterie, la courtoisie ou la politesse, se les voir appliquer à elle-même était légèrement déroutant, presque autant que son offre d'hébergement. A ce sujet, elle ne comptait pas partir de la demeure de Kiiro, mais savoir qu'il existait un autre endroit prèt à l'accueillir était réconfortant.

"Vous êtes bien le premier humain que je rencontre à se plaindre de devoir s'amuser et se détendre." rétorqua-t-elle, doucement ironique.

Melarorah, sentant que Kal'Alzaroth l'observait, ne détourna pas le regard, apparemment très absorbée par la contemplation des jardins, attentive pourtant à ce qu'il lui disait. Sa remarque sur sa nature vraisemblablement non humaine donna à Melarorah l'occasion de satisfaire sa curiosité.

"A ce propos... vous buviez tout à l'heure un liquide rouge et épais. Qu'était-ce ?"

L'hybride se retint à temps de dire que la boisson lui avait semblé très appétissante. Peut-être ne s'agissait-il que d'un simple jus de tomate après tout ?
Les dernières paroles du jeune homme laissaient-elle entendre qu'il trouvait sa compagnie plus agréable que celles de certaines personnes invitées ?

"Oh non ! Le sang de boeuf est meilleur ! Il est peu cher et... et..."

Et la voix de Melarorah s'éteignit d'un coup. Discuter de ses goûts, d'accord, mais de son goût pour l'hémoglobine...

"Et il a un goût salé plutôt plaisant." finit-elle, un peu sèchement, vexée de se laisser aller si facilement devant cet homme. Crier son gout pour les viandes saignantes voire sanglantes était une chose qu'elle ne s'était encore jamais permis.

Définitivement hors-norme, Kal'Azaroth. Le gout du sang était peu répandu chez les humains. Avait-il fini par s'identifier aux dragons à force de les étudier ? Ou bien était-il naturellement ainsi ?

"Vous vous comportez en dragon, vous nourrissez en vampire... dois-je en conclure qu'il vous arrive quelque chose, les nuits de pleine lune ?" fit-elle, un peu amusée envers cet homme de modèle si peu courant.

Melarorah sourit. Ni vampire ni dragon ni humain, mais beaucoup mieux que cela.

"Ce sera pour une autre fois, j'essaye d'éviter de boire ce genre de boisson devant ce genre de personnes..." fit-elle en montrant les invités d'un signe de tête.

[grave manque d'inspiration T__T sorry]

La virulence de Kal'Alzaroth surprit un peu Melarorah. Il semblait nourrir envers les humains une certaine rancoeur qu'elle n'avait pas décelé jusque là. Ou bien peut-être était-ce précisément les personnes alentour qui lui étaient antipathiques.

"Avec ces larves que vous êtes sensé transformer en brillants papillons." lui rappela-t-elle.

"Et dont vous comme moi sommes plus ou moins issus."

A bien y réfléchir, les critères d'appartenance aux Fleurs du Mal semblaient plus complexes qu'il n'y paraissait à première vue. Pour une courtisane éclairée comme Kiiro qui y entrait, combien de pseudos vertueux bien pensants trop obtus pour y entrer ?

Après une brève hésitation, Melarorah posa légèrement une main sur le bras de Kal'Alzaroth. A cet instant il semblait vraiment douter du bien fondé de sa mission et Melarorah avait beau être certaine qu'il ne lacherait pas prise aussi facilement, son impression était qu'il avait besoin de soutien ou d'encouragement. Elle n'y avait pas réfléchi mais la vie du jeune homme sans son orgueilleux projet ne serait-elle pas un peu vide ? Et, au vu de son opinion sur les humains en général, la jeune femme en venait à se demander s'il avait des amis, de vrais amis, autres que des collègues du Culte ou des Fleurs. Les membres de sa famille étaient morts ou cloitrés, il vivait entouré de domestiques et pour finir son ami le plus proche était un dragon. Melarorah n'avait rien à priori contre les amitiés inter races (elle aurait été mal placée pour protester contre) mais les humanoides devaient surement avoir besoin de congénères pour vivre.

"Vous semblez plus pessmiste, il est vrai, mais un optimisme inébranlable et à toute épreuve m'aurait bien plus inquiété que votre réalisme. Et, pardonnez-moi, mais je ne vous crois absolument pas capable de succomber à la facilité."

*Même s'ils ne méritent pas mieux que leur phange.*

Pourquoi détournait-il le regard ? A cause d'elle ? De son geste ? Elle n'avait pas pour habitude de provoquer un contact physique, si ténu soit-il, avec ses interlocuteurs, et si quelqu'un s'était permis ce genre de familiarité à son égard, sa réaction aurait été aussi froide que brutale. Si Kal'Alzaroth avait un tant soit peu de caractère de dragon il ne pouvait que se refermer comme une huître après ça.
La jeune femme soupira intérieurement. Décidément elle était trop maladroite pour suivre la vie mondaine de Kiiro. Si elle parvenait à ne froisser personne avant la fin de la soirée, ce serait un miracle !

"Ma présence semble vous être à charge. Vous n'avez pas à vous forcer à être agréable avec moi." fit-elle avec franchise.

La jeune femme fit un pas de coté pour s'écarter un peu de lui.

"Je ne vous retiendrais pas plus longtemps."

Son regard et son ton ne reflétaient ni déception ni colère ni quoi que ce soit. C'était un simple constat.
Si par hasard elle se trompait, il valait tout de même mieux qu'elle parte avant d'avoir fait mauvaise impression aux connaissances de Kiiro et tant que l'atmosphère de la fête ne lui était pas trop déplaisante.

*Un animal sauvage dans mon genre ne devrait jamais quitter sa tanière.*

Melarorah en resta sans voix durant une bonne poignée de secondes, visiblement très interloquée et à peu près certaine d'avoir mal compris, avant de capituler en poussant un soupir amusé.

"C'est un ordre ? Vous êtes fou." fit-elle d'une voix plus détendue et peu réprobatrice.

"Vous allez devoir tuer la moitié de vos invités."

Melarorah, visiblement amusée, mit une main devant sa bouche pour tenter de réprimer son sourire.