Fête du Dragon n°2, Un peu partout...

Melarorah sentit une agréable vague de chaleur l'envahir. Elle resserra la couverture, plutôt efficace en fait, autour d'elle.

"Non... non, je me prépare juste à affronter le froid absolu." fit-elle d'une voix adoucie.

Elle n'était pas spécialement pressée de rentrer au manoir, mais il leur faudrait bien y retourner à un moment ou à un autre.

"Je suppose que le retour au manoir n'est plus qu'une question de minutes ?"

Les vraies festivités ? Qu'allait-il donc se passer en fin de soirée ? Un petit event spécial Fleurs du Mal, sans doute ? Kiiro lui avait laissé entendre qu'il allait s'en passer de belles, au manoir funeste... ou en tout cas qu'elle risquait de s'y attarder.
La jeune femme regarda Astorth puis jeta un long coup d'oeil aux alentours avant de reposer son regard sur Kal'Alzaroth, sceptique. Qu'y avait-il donc de si passionnant à faire dans les environs ? Hormis la chasse au sanglier, bien sûr...

"Il n'y a rien que je souhaite faire... ici."

Elle accentua le 'ici' avec un regard moqueur.

Melarorah regarda Kal'Alzaroth avec attention. Bon, il semblait avoir compris, c'était le principal.

"Serait-il possible d'aller... sept ans en arrière ?" demanda-t-elle d'une voix inhabituelle.

"Et dans un autre lieu ?"

La jeune femme ne semblait pas trop y croire. Elle ne savait pas trop quelles étaient les capacités de déplacement des dragons lorsqu'ils passaient par l'interstice. C'était sûrement épuisant.

Le coeur de Melarorah manqua un battement. C'était donc possible ? Si elle avait pu, l'hybride aurait bien aimé changer certains éléments de son passé, voire des pans tout entier de son histoire, mais elle comprenait que ce soit interdit. D'ailleurs, elle tenait finalement assez à ce qu'elle était devenue pour ne pas vouloir changer.

"Je peux vous promettre que je n'ai rien de tel en tête. Je veux simplement... me souvenir." termina-t-elle un ton plus bas.

La jeune femme n'avait pas spécialement envie que Kal'Alzaroth assiste à l'élément de son passé qu'elle comptait retrouver, ni à aucun autre d'ailleurs, mais c'était cela ou rien.

Melarorah s'envola à son tour et se posa en douceur sur le dos du dragon. Elle se laissa glisser lentement, ses ailes retenant sa descente, et se retrouva à cheval sur Astorth. Elle se retourna à moitié et interrogea Kal'Alzaroth du regard.

"Et maintenant ?"

La question de savoir à quoi son compagnon allait-il bien pouvoir se tenir, lui, effleura l'esprit de Melarorah, mais elle préfèra ne pas y penser.

Le soleil se levait à peine mais perçait facilement à travers les quelques nuages blancs qui encombraient le ciel, d'un bleu doux et froid. Le paysage était valonneux, parsemé de collines et de larges pans de roches et à l'Est se trouvait une épaisse et immense forêt. Quelques centaines de mêtres devant le dragon et ses passagers, aux confins de la forêt, se trouvait une maison ventrue en grossières pierres grises, dont la cheminée laissait passer un filet de fumée claire. Deux chevaux bais paissaient paisiblement dans un enclos adjacent à l'habitation et un puit moussu trônait au milieu d'une sorte d'arrière cour en terre battue, bordée par d'un coté par une sorte de grange en bois et de l'autre par une écurie.
La porte de l'habitation s'ouvrit et deux chiens, l'un gris et l'autre roux, à mi chemin entre le colley et le husky, se précipitèrent dehors en jappant.

"Leoci. Vina." murmura Melarorah pour elle-même.

Le regard indéchiffrable, la jeune femme se retourna vers Kal'Alzaroth.

"Puis-je descendre d'Astorth pour m'approcher ?"

Melarorah avala sa salive et inclina simplement la tête, l'esprit déjà tout entier tourné vers ce qu'elle allait revivre. Elle rejeta d'un geste la couverture dont elle était enveloppée, la posa sur un rocher proche et se mit à courrir. Elle avait la gorge nouée et sentit une irrépressible tristesse lui serrer la gorge. D'ici à quelques heures ils seraient morts.
La jeune femme bondit de rochers en rochers, jusqu'à arriver près des arbres qui jouxtaient sa maison. Elle se faufila le long du tronc de l'un d'eux, qu'elle connaissait bien, et y grimpa, sachant que personne n'irait ce jour-là cueillir des noisettes.
Un jeune homme était sorti entre temps de la maison et s'affairait à brosser vigoureusement l'un des deux chevaux de l'enclos. De dos, Melarorah ne voyait de lui que ses habits verts ternes, ses longs cheveux noirs et ses bras couverts de tatouages tribaux. Lorsqu'il eut fini sa besogne, il se retourna, permettant à l'hybride de contempler à nouveau le visage avenant et bronzé et les joyeux yeux verts pomme de son frère.

*Lirio. Mon frère.*

Melarorah se pencha et s'allongea sur sa branche, sa queue fouettant l'air avec nervosité.

*3... 2... 1...*

La porte de la maisonnette s'ouvrit à nouveau et une gamine d'une petite dizaine d'années, aux épais cheveux bruns/roux évoquant irrésistiblement une crinière, aux grands yeux verts menthe, moqueurs et vifs, se précipita dehors. Elle était vétue d'une simple robe fonctionnelle en tissu écossais qui lui arrivait au-dessus du genoux. Elle n'avait rien en commun avec celle qui l'observait si attentivement : ni les cheveux, ni le regard, ni l'allure, ni la couleur de peau. Rien. Sept ans seulement les séparaient pourtant. Sept toutes petites années.

"Rorah !"

Le jeune homme saisit l'enfant par la taille et la souleva de terre.

"Tu seras bien sage, aujourd'hui, Rorinette ? J'espère que je peux te confier les chiens et la maison."

Melarorah resta encore un long moment à les observer puis, lorsque les chevaux furent prèts et amenés devant le bâtiment et qu'ils furent rentrés dans l'habitation, descendit de son observatoire. Sachant que l'on ne pouvait la voir depuis l'habitation et que de toute manière personne n'irait à l'enclos avant plusieurs heures, elle s'avança. Un seul cheval, caché auparavant par un buisson, était resté, allongé. Il ne broncha pas lorsque Melarorah s'approcha de lui, s'accroupit et lui caressa le chanfrein.

"Hé bien, mon Valou, tu ne reconnais pas ta petite maîtresse ? C'est toi qui m'a appris à monter pourtant... Ai-je tellement changé ?" chuchota-t-elle.
Ce ne fut que lorsque Leoci et Vina, les deux chiens de chasse, lui eurent sautés dessus et l'eurent renversée à terre que ses larmes se mirent à couler. Assise, elle enfouit ses mains dans la fourrure de la chienne tandis que le mâle lui faisait fête. Elle ne se rendit compte qu'elle pleurait qu'en voyant les taches sombres et rondes que formaient ses larmes sur ses vêtements.

Melarorah passa ses bras autour du cou de la chienne. Elle n'avait jamais ressentit quelque chose d'aussi horrible. Alors que jusqu'à présent son sentiment le plus marquant avait été son incapacité à protéger ceux qu'elle aimait, elle en avait maintenant la possibilité... mais pas le droit. Il lui suffirait, quoi, de se dissimuler près de la fontaine aux fées, d'attendre le passage de son père et de ses deux batârds... trois brefs coups et s'en serait fini... ils n'iraient pas jusque chez elle, elle ne se transformerait pas, son frère ne serait pas engagé pour l'abattre, sa famille ne serait ni dénoncée ni massacrée... elle grandirait, normale et humaine, épouserait l'un ou l'autre des garçons du village et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais non, elle devait repartir, abandonner ceux qu'elle aimait plus que sa vie à un sort abominable, se laisser elle-même, seule, abandonnée, traumatisée...
Les yeux brûlants de haine, elle se releva. Une dernière caresse à Valou, une ultime tape amicale sur la tête de Leoci... ils l'avaient accompagnés depuis sa naissance et elle ne les reverrait plus de toute sa vie, ne sachant même ce qu'il leur arriverait.
Quelques minutes plus tard, elle était de retour aux côtés de Kal'Alzaroth et d'Astorth, le regard empreint de tristesse.

"Je comprends mieux pourquoi l'on dit de toujours se méfier de son plus grand désir." commenta-t-elle simplement, un petit sourire désabusé aux lèvres.

"Mieux vaudrait repartir, si Astorth est prèt, avant que je ne faillisse à ma promesse..."

[Wow dur]

Melarorah, les yeux écarquillés, semblait foudroyée. Il... lui... offrait le droit... de 'réparer' les accrochages de sa vie ?

"Vous... n'avez pas le droit de m'offrir ce choix." murmura-t-elle d'une voix à peine audible, la tête baissée.

Lirio, sa mère, Valou, Leoci, Vina, le bel Adrian qui lui faisait les yeux doux, ses amies... Mais accepter, c'était aussi perdre Kiiro et Kisarath, la petite Fuurin, Astorth... c'était... Melarorah releva la tête et regarda Kal'Alzaroth dans les yeux. C'était aussi perdre Kal'Alzaroth... qu'elle le veuille ou non, ce n'était pas le point le moins douloureux.

"Je... je..."

Elle porta une main à son front. Elle allait accepter, cela ne faisait aucun doute. Mais elle avait promis le contraire. Elle avait donné sa parole, pouvait-elle la reprendre ? Non, ce serait déchoir. Quoiqu'elle ne s'en souviendrait pas, si elle supprimait l'élément qui allait détruire sa vie... La jeune femme ferma les yeux. Elle allait haïr le restant de ses jours ce qu'elle s'apprétait à dire mais elle le dirait tout de même. Elle en aurait des regrets, des remords, en pleurerait peut-être, mais c'était ce qu'il fallait faire.

*Maman, je t'en supplie, pardonne-moi.*

"Je vous ai donné ma parole." fit-elle d'une voix tremblante.

"Je n'ai pas pour habitude de revenir, fut-ce dans un futur alternatif, sur ce que je dis."

[C'était vicieux quand même comme coup ]

Melarorah ramassa la couverture en duvet de dragonnet. Elle dut se mordre la lèvre inférieure presque jusqu'au sang pour ne pas ré éclater en sanglots. Quelque part, elle sentait que sa décision était la bonne et elle était sûre que, où qu'ils puissent être, les membres de sa famille étaient fiers d'elle.

*Tout ce que je demande est que vous me regardiez en souriant. Que j'ai ou non votre mort sur la conscience.*

Melarorah acquiesa d'un clignement d'yeux et monta sur le dos d'Astorth. Il ne fallait tout de même pas surestimer son courage et la jeune femme commença à fixer le harnais et les lanières.

[Le mal que j'ai eu à trouver une raison crédible à son refus T__T si tu refais un coup comme ça, j'accepte ]

Melarorah n'avait même pas réagi lorsque son compagnon avait réajusté son harnachement tant était grande son envie de quitter cet endroit.
Lorsqu'ils arrivèrent dans le monde de crystal, l'hybride releva la tête. Il lui aurait fallu être complètement aveugle pour rester insensible au spectacle qui s'offrait à leurs yeux. Jamais encore elle n'avait vu un endroit si magnifique. Elle avait l'impression d'être entrée dans un monde de diamant ou de crystal. Voire d'être entrée dans un diamant tout court.
La jeune femme se tourna à demi vers Kal'Alzaroth, les yeux rouges encore, mais une ébauche de sourire un peu tremblant aux lèvres.

"Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau. Quel est cet endroit ?"