Fête du Dragon n°2, Un peu partout...

"C'est un choix respectable."

Melarorah nota qu'il parlait de sa famille au passé. Tous les membres en étaient-ils morts ? A moins qu'il n'ai réussi à leur faire changer leur point de vue, tout simplement...
La jeune femme eut un haut-le-coeur aux dernières paroles de Kal'Alzaroth. Il faut savoir que, si elle se considérait désormais comme n'étant ni vraiment humaine ni vraiment dragonne, elle avait pour ses deux races l'attachement que l'on peut porter à des parents. Donc imaginer que l'un des deux puisse réduire l'autre en esclavage était totalement anormal pour elle.
Puis les paroles du jeune homme se frayèrent un chemin dans son esprit.

"Mais vous... Astorth ? Un dragon ?"

Une aberration ? Certainement et cela, ajouté au fait qu'elle se sentait une certaine affinité avec les dragons, fit naitre en elle l'idée de rencontrer, un jour, ce Astorth. Une rencontre entre les deux erreurs draconiques serait surement enrichissante, même si Melarorah avait abandonné depuis longtemps l'idée de rencontrer un second elle-même avec qui elle aurait tout eu en commun, avec qui elle aurait pu faire un bout de chemin. Elle était unique. Elle était seule.

"Mais peut-être l'autre dragon était-il mort entre temps ? J'ai connu le cas d'une lignée de wyvernes qui ne pouvaient avoir de descendant qu'à la mort de l'un d'eux, comme si le nombre possible de wyvernes vivant en même temps était limité."

En ce cas, vous non plus n'auriez jamais du exister, songea Melarorah en levant brièvement les yeux sur Alzaroth.

"Les dragons ne cherchent que très rarement la compagnie des humains et la supportent encore moins. Pourtant vous en parlez comme si vous le connaissiez de longue date et que vous aviez des rapports fréquents avec lui, c'est étange."

Deux dragons noirs vivant en même temps ? Et pourquoi pas une femelle verte pondant des oeufs ? Non, c'était vraiment trop... impossible. Que s'était-il passé pour que cela ait lieu ? On ne bafouait pas impunément des règles immuables, il devait y avoir une erreur quelque part.

"Oui, j'avais déjà noté le lien privilégié qu'entretiennent Kiiro et Kisarath."

Conférer l'empreinte à un lézard de feu, pourquoi pas, mais qu'un dragon, noir de surcroit, accepte de se lier à un humain.

"C'est un grand honneur que vous a fait ce dragon."

*Pour des raisons qui m'échappent quelque peu. Qu'est-ce qui rend cet homme si particulier pour qu'un dragon noir lie leurs vies ?*

"Quelles autres personnes ici se sont vues conférer l'empreinte ?"

"Une reine dorée... si j'en crois les légendes, je penserais que vous avez confié à Kiiro la lézarde de feu qui pouvait le mieux lui convenir." fit-elle avec un brin d'ironie, songeant à ce qu'elle avait appris autrefois sur les accouplements de lézards de feu et leurs effets sur la libido de leurs équivalents humains.
Melarorah se leva et adressa un bref salut de tête à Kal'Alzaroth.

"Je vous prie de m'excuser, mais l'atmosphère de ce salon m'incommode et l'air extérieur me ferait du bien. Je vous prie d'excuser mes maladresses si j'en ai commises."

Melarorah ouvrit de grands yeux.

"Cela ne me dérange pas mais... il est ici ? Il se mèle aux humains ?"

Le pouvoir de l'argent sans doute, songea amèrement Melarorah. Un nanti pouvait faire venir son dragon en pleine ville tandis qu'une hybride sans sou ni maille dans son genre était regardée de travers quand elle franchissait les portes d'une ville.

"De la pierre de feu ? Les dragons en ont donc réellement besoin ? Je croyais que ce n'était qu'une légende."

Melarorah imagina le plaisir que devait ressentir le dragon durant son bain. Un plaisir qu'elle ne connaissait que trop bien et qui, pour ce qu'elle en savait, échappait à la plupart des humains. Il faut dire aussi que la plupart des humains n'étaient pas dotés, eux, d'ailes puissantes qui faisaient d'excellentes nageoires, d'une queue capable de sabrer l'eau et d'écailles que l'humidité faisait étinceler.

"Ne le pressez pas trop, j'aurai honte de lui faire abréger ce plaisir." fit-elle, un peu attendrie par la vision d'un énorme dragon noir nageant avec la gaieté d'un caneton.

En atterrissant, le dragon avait soulevé un nuage de poussière et Melarorah déplia l'une de ses ailes pour s'en protéger. Elle s'approcha ensuite du gigantesque animal, prise d'une émotion qu'elle ne s'attendait pas à avoir si forte. Les fentes verticales de ses pupilles s'élargirent un peu et un éclat d'admiration teinta ses yeux. Qui ne se serait senti petit et imparfait face à ce majestueux reptile aérien ?
Parallèlement, la jeune fille sentit son coeur se serrer. Astorth était un dragon magnifique, même selon des critères humains, et la renvoyait plus durement à son statut de croisement. Astorth était tout ce qu'elle ne serait jamais, aussi grands soient ses efforts.

"Faire votre connaissance est un immense honneur, seigneur Astorth."

L'appellation lui était venue naturellement. Un dragon noir aussi majestueux ne devait, ne pouvait être que quelqu'un d'honorable. Un seigneur. Dans certains vieux livres les grands dragons n'étaient-ils pas appelés rois, seigneurs ou princes ? Certains étaient même dotés de sobriquets respectueux, tels Ospreith le Fléau Noir ou Thennaith la Mort Pourpre ?
La jeune fille se tourna vers Kal'Alzaroth.

"Quel âge a-t-il ?"

Melarorah inclina brièvement la tête, plus touchée qu'elle ne voulait le paraitre par les paroles du dragon. C'était un peu comme être reconnue comme un dragon à part entière, c'était immensément agréable et chaleureux.
Melarorah n'était pas sûre de bien comprendre les paroles de Kal'Alzaroth sur son âge et celui du dragon mais cela importait assez peu.

"Cela ne fait que dix neuf ans qu'il a éclos ?"

Melarorah fit quelques pas en arrière pour mieux juger de la taille du reptile. Un dragon pouvait atteindre une taille si imposante en moins de deux décennies ? Incroyable.

"L'attitude des vôtres me semble d'autant plus incompréhensible maintenant que je connais Astorth. Comment peut-on songer à instrumentaliser ce dragon ?" fit-elle avec une once de dégout.

"Un dragon peut-il parler mentalement avec quelqu'un qui ne lui est pas lié ou bien... ?"

La jeune femme, intriguée, n'acheva pas sa phrase.

"Et... que sont-ils devenus ? Je ne crois pas en avoir croisé, dans votre demeure."

Melarorah le regardait avec un zeste de méfiance, comme si elle se doutait de sa réponse mais qu'elle voulait une confirmation de vive voix.

Melarorah avait son idée sur la question du blocage : à essayer de se faire passer pour une humaine normale elle en bloquait inconsciemment ses pouvoirs de dragon.

"C'est normal, il est dur d'admettre que l'on possède ce genre facultés lorsque l'on tente de se persuader que l'on n'est qu'une humaine classique."

Melarorah n'était pas coutumière de ce genre de confidences et était la première surprise de s'ouvrir ainsi à cet homme qu'elle ne connaissait pas un quart d'heure plus tot. Peut-être la présence du dragon la détendait-elle ?

"Vous avez décimé votre propre famille." fit-elle sur un ton de simple constatation, à peine surprise. Qu'il consiède que traiter Astorth comme un animal était pire que ce qu'ils lui avaient fait subir était une note positive en faveur du jeune homme.

"Ceux qui partageaient votre sang ne méritaient donc pas la moindre clémence ? Ou bien votre lignée n'a-t-elle aucune valeur à vos yeux ?"

Dire que Melarorah tomba des nues était peu dire. Kal'Alzaroth ne lui avait pas semblé être le genre de personne à flatter ou à complimenter. Certes, il avait fait un tableau plutot flatteur de Kiiro, mais Melarorah mettait plus cela sur le compte d'une certaine attirance physique entre les deux Fleurs du Mal. Alors s'entendre dire sans préambule qu'elle était quelqu'un d'exceptionnel...
Melarorah le pointa de l'index, le bras un peu replié, avec un petit sourire, pas menaçante mais plutot dans l'attitude de donner un conseil amusé.

"Vous, devriez vous méfier en revanche. La plupart des humains ne s'inclinent devant vous que pour ramasser les pierres dont ils vous lapideront au moindre faux pas. Votre projet est aussi audacieux que risqué... Y avez-vous déjà rencontré quelques succès ?"

La jeune femme leva le visage vers Astorth et lui sourit.

Melarorah, déroutée par les rires de son compagnon, eut une ébauche de sourire, perplexe. Bien que sachant qu'elle n'aurait aucun résultat, n'étant ni ouverte d'esprit ni entrainée, la jeune fille regarda Astorth en songeant intensément à l'interet que pouvait avoir une alliance avec un humain pour un dragon.

"Les Fleurs du Mal sont donc étroitement liées au Culte ? Si je vous comprends bien, ce sont elles qui préparent le peuple pour sa prochaine rencontre avec le Dragon ?"

La jeune femme posa la main sur la garde de son épée et joua machinalement avec les décorations qui pendaient du pommeau.

[Jouet ? T__T]

Les dragons se souciaient-ils de l'avenir ? Du destin de leur race ? Pas à la connaissance de Melarorah.

"L'humanité toute entière qui devra changer pour se conformer aux attentes d'un seul dragon." souligna-t-elle.

Que les humains changent ou non lui importait peu, elle n'était pas à leur place. Au mieux, ils se montreraient moins agressifs envers les hybrides dans son genre. Au pire, ils resteraient tels qu'ils l'avaient toujours été.

"Quel est votre avis sur la question, seigneur Astorth ?" demanda-t-elle en levant les yeux vers le dragon noir.