Fête du Dragon n°2, Un peu partout...

Le seul effet des grommellements de Kal'Alzaroth fut d'intensifier l'amusement de Melarorah, qui cessa pourtant de rire. A première vue elle l'avait vexé. La jeune femme soupira.

"Non, de la situation. Cela vous semble normal, à vous, de pique niquer d'un sanglier, au beau milieu de la nuit, au beau milieu de nulle part, avec une inconnue ?

La semi dragonne se laissa glisser de son siège et s'allongea, les bras croisés sous sa tête. En fin de compte, elle ne savait pas si elle gouterait au sanglier ou non.

"Merci."

Melarorah se redressa un peu, appuyée au rocher, et posa l'assiette de viande à coté d'elle. Elle porta la coupe de sang à ses lèvres et en but une longue gorgée. Excellent. En quelques coups de poignards, sa viande s'était transformée en un petit tas de cubes suintant l'hémoglobine. La jeune femme reposa sa boisson et commença à manger. Un feu, la nuit, les étoiles, de la viande et du sang, un dragon... il y avait longtemps que Melarorah ne s'était pas sentie aussi bien, aussi 'à sa place'. Au fond, à quoi bon revenir sans cesse vers les humains ? Elle avait été des leurs, des années auparavant, mais cette période était révolue.

"Je vous avoue que je n'ai désormais plus aucune envie de retourner à votre fête."

Elle n'ajouta pas que c'était parce qu'elle se sentait bien ici, mais elle le pensait. Kal'Alzaroth, lui, allait devoir reprendre le chemin de sa maison, s'il tenait à remplir ses obligations de maître de maison.

Melarorah refusa la viande que lui proposa Kal'Alzaroth mais reprit volontiers un peu de sang.

"Remonter le temps ?"

Melarorah regarda Kal'Alzaroth. Il voulait remonter le temps ? Mais pour aller où ? Pour camoufler son absence du manoir ?

"Pour... retourner à votre fête comme si vous et moi n'en étions pas partis ?"

La jeune dragonne semblait perplexe, plus très sûre de comprendre comment raisonnait son interlocuteur. N'avait-il pas dit qu'il n'avait plus tellement envie de retourner à sa fête ?

Melarorah n'hésita même pas un quart de seconde. Passer par l'interstice impliquait sans doute un petit tour à dos de dragon, non ? C'était donc doublement interessant pour elle. Et puis, il faut bien avouer que Kal'Alzaroth l'interessait, maintenant. Elle s'attendait à rencontrer un petit nobliau quelconque, montant une organisation prétentieuse, et finalement il avait réussi à rendre sa soirée palpitante ! Et il lui avait surtout montré qu'elle se fiait encore un peu trop aux apparences...

"Bien sûr, que ça m'interesse !"

Un petit sourire aux lèvres, elle semblait se demander comment il pouvait même en douter.

Melarorah se laissa retomber sur l'herbe. Combien de temps le rétablissement de Kal'Alzaroth allait-il prendre ? Quelques secondes ? Quelques minutes ?
Elle avait jeté un regard interessé à la transformation de Kal'Alzaroth : ça n'avait pas l'air douloureux ni inconfortable. Que ressentait-on en modifiant son apparence extérieure ?

"C'est si compliqué que cela, de se transformer ?"

A bien y réfléchir, ce devait être dur de controler un corps qui n'était pas le sien, non ?

La semi dragonne sourit.

*Et il récupère plus vite après avoir mangé ?*

Ils avaient donc une demi-heure devant eux, ce qui était à la fois trop long et trop court. Pendant que lui se reposerait, que pourrait-elle faire, pour passer le temps ? Se promener dans les environs ? Elle les avait déjà explorés en long, en large et en travers lors de ses chasses.
La jeune femme porta une main à son collier et ferma les yeux. Elle se détendit, tentant de laisser le sommeil s'emparer d'elle.

"Je vous plains." murmura-t-elle.

"Vous vous imposez un mode de vie tellement contraignant..."

Melarorah rouvrit les yeux instantanément, toute envie de dormir envolée, et se redressa à moitié avec un sursaut. Elle cligna des yeux à plusieurs reprises, comme si elle ne parvenait pas à croire ce qu'elle voyait : il avait osé poser sa tête sur son ventre ! Bon, dit comme cela, cela ne semblait pas spécifiquement outrageant, mais pour Melarorah, ça l'était. Et il lui faisait un grand sourire, en plus !

"Non mais vous ne voudriez pas que je vous caresse les cheveux en plus ?"

La jeune femme se dégagea, en faisant attention tout de même à ne pas brusquer cette petite chose fragile qu'était Kal'Alzaroth, puis se décala de cinquante bons centimètres du côté opposé à celui de son compagnon.

La perspective de gifler Kal'Alzaroth pour lui apprendre à garder ses distances effleura l'esprit de la jeune femme. Mais d'un autre côté, se brouiller avec la seule personne au monde capable de lui faire approcher le monde des dragons...
N'étant pas du genre à accepter les compromis, Melarorah leva la main pour le gifler, mais toujours cette perspective de l'interstice et d'Astorth arréta sa main. Elle hésita, sembla sur le point de le gifler pour de bon,puis sa main retomba.
Maintenant ce n'était plus seulement contre l'attitude de Kal'Alzaroth qu'elle se défendait, mais contre sa propre soumission. C'était abject.
Le dos de la main de Melarorah entra finalement en contact avec la joue de Kal'Alzaroth. Dans leur position, il lui avait été impossible de frapper plus fort.
La jeune femme se re dégagea.

"Non, je ne suis pas sensible au froid !"

Elle l'avait trouvé sympathique ? Et bien apparemment elle avait tout faux. La jeune femme fulminait et semblait prête à bondir au visage de Kal'Alzaroth s'il persistait.

Melarorah se leva et commença à marcher de long en large. Elle semblait énervée et jetait de furtifs regards vindicatifs à Kal'Alzaroth. Finalement elle se rassit, toujours à bonne distance de lui. A première vue il avait eu ce qu'il voulait.
Se couvrir ? Avec quoi ? Ses ailes ? Bien sûr, elle aurait pu faire apparaitre une cape de feu, mais ce n'était pas franchement simple à faire. La jeune femme s'abîma dans sa réflection. C'était cela ou demander de l'aide à Kal'Alzaroth pour faire apparaitre un objet susceptible de lui tenir chaud. Bon, il ne semblait pas être du genre à lui tenir rancoeur de n'avoir pas voulu lui servir d'oreiller, mais tout de même, demander de l'aide à quelqu'un à qui on venait juste de refuser quelque chose était un peu, beaucoup humiliant.
Melarorah tourna ses yeux verts en direction du feu mourant. Apparemment, ce n'était même pas la peine d'y penser. L'hybride joignit ses mains, fixant le feu intensément. Ce dernier reprit de la vigueur. Non, c'était insuffisant. Elle soupira et regarda Kal'Alzaroth.

"Vous n'auriez pas une idée, pour trouver de quoi me couvrir ? Sinon je serais contrainte de faire quelque chose d'assez déplaisant."

S'il y avait une autre solution, elle la choisirait certainement.

*Mais à quoi joue-t-il ?*

Melarorah le regardait, perplexe, semblant se demander s'il ne se moquait pas d'elle. Elle prit le tissu qu'il lui tendait et lui sourit avec ironie.

"Hé bien détrompez-vous car cela m'aurait beaucoup plu." fit-elle, moqueuse.

Ce n'était pas vrai, naturellement, mais elle avait réellement cru, durant un instant, qu'elle allait devoir se coller à Kal'Alzaroth comme une chatte en chaleur durant le vol. Et s'être fait avoir, fut-ce une fraction de seconde, n'était pas spécialement agréable.
Elle déplia le tissu, qui semblait être assez grand pour l'envelopper toute entière.

"Et vous, vous n'avez besoin de rien ?"

Melarorah rougit et détourna le regard, comme offensée. Elle n'était pas très à l'aise dans ce genre de conversation, même si cela ne se voyait guère, et elle apprécia que Kal'Alzaroth change de sujet.
Elle, susceptible de le comprendre ? Sincèrement elle en doutait. Calme et sérieux à un moment donné, puis gamin et familier l'instant d'après...

*Ca, c'est utile.*

Elle replia vaguement la couverture et la mit sur son bras.

"Vous êtes suffisament reposé, maintenant ?"

Melarorah se tourna vers Kal'Alzaroth, un sourcil arqué, le regardant avec un mélange d'amusement, d'incrédulité et d'un peu d'agacement. A tort ou à raison, elle avait compris les paroles de Kal'Alzaroth d'une manière assez 'intime'.

*J'espère qu'il n'a pas réellement voulu dire ce que j'ai cru comprendre...*

Elle faillit lui dire qu'il y avait un double-sens un peu tendancieux dans sa phrase, mais s'abstint. Après tout, peut-être était-ce-elle qui avait l'esprit un peu mal placé, même si ce n'était pas son genre ?

*Oui, il n'y a que lui et moi, il fait nuit, il n'y a aucune contrainte de temps et lui espérait que j'accepte de lui servir d'oreiller il n'y a pas cinq minutes. Je me fais des idées, bien sûr...*

"Je n'ai pas une mauvaise opinion de vous."

Elle sourit.

"Du moins pas encore."

Melarorah sourit à son tour, amusée. Elle-même n'était pas une sainte, loin de là, mais il était vrai qu'elle aurait facilement fait figure de douce agnelle, comparée à l'héritier Draconigena.

"Que vous soyez un vampire assoiffé de sang, un meurtrier sans scrupules, un démon m'est assez indifférent, je vous l'avoue."

Elle s'interrompit, réfléchit une seconde et ajouta :

"Pour le reste de vos forfaits vous mériteriez par contre mille fois la mort." fit-elle avec aplomb.

Melarorah déplia le morceau de tissu et s'enveloppa dedans.